Dès son titre, Aliène, le second roman de Phœbe Hadjimarkos Clarke, surprend et interroge. Aliène relève à la fois de la science-fiction, du récit fantastique, du roman policier et social. En effet, il y est question aussi bien d’extraterrestres que d’une nature sauvage et insaisissable ou encore des gilets jaunes, des violences policières et des conséquences du réchauffement climatique. Fauvel, l’héroïne, est borgne suite à un tir de LBD lors d’une manifestation. Depuis, la peur articule sa vie, l’emprisonne et « reforme le monde ». Or, la narration épouse le regard de Fauvel, prisme déformant qui plonge dans l’incertitude et l’intranquillité. « Savez-vous comment la peur peut briser jusqu’au plus petit fragment d’un être ? Le moindre son menace, la moindre présence peut prendre la forme d’une attaque».
Depuis sa blessure, Flauvel perd pied. Elle accepte avec reconnaissance la proposition de son amie Mado : faire du dogsitting pour son père dans une maison isolée. Le chien s’appelle Hannah, un nom palindrome pour un chien cloné, qui est effectivement à la fois le double et le négatif de la première Hannah. L’originale était douce, sa copie « est une chienne chelou », peu affectueuse, et même agressive, « une idée de chien ». Lorsqu’elle disparaît dès le premier jour pour revenir des chairs ensanglantées plein les babines, Fauvel s’interroge. D’ailleurs, des rumeurs accusent la chienne d’être responsable de massacres réguliers. Les éleveurs de bétails se plaignent de retrouver leurs bêtes blessées, tuées, et mutilées. La colère gronde. Fauvel, tel un animal traqué, a les sens en alerte ; elle hume, goûte, écoute, dans un rapport sensitif au monde, afin d’identifier d’où vient le danger. Convaincue qu’Hannah est innocente et que la violence vient davantage des hommes, elle enquête. La complicité qui naît avec la chienne l’aide à se libérer de sa peur. « Armée de sa colère » et accompagnée d’Hannah, elle traque à son tour le coupable.
La narration excelle à décrire une nature organique et onirique dans laquelle rôde un prédateur qui pourrait être aussi bien animal qu’humain, ou venir d’ailleurs. L’incertitude est à la clef de ce roman déroutant. L’ancrage réaliste s’effrite lorsque sont évoqués le clonage du chien ou la disparition de tous les marronniers de France à cause d’un épisode de sécheresse. La grande force du roman réside dans la plume singulière et incisive de Phoebe Hadjimarkos Clarke. L’argot se mêle à des mots rares, des passages très crus à des descriptions évanescentes. Les dialogues sont particulièrement remarquables, mis en page avec originalité : intégrés à la narration, ils s’en distinguent uniquement par une marge et une police différentes. Ainsi, les voix s’enchevêtrent, se brouillent, mais sans perdre le lecteur.
Un roman aliène donc, tant par sa forme insolite que par son incroyable récit.
Aliène, Phoebe Hadjimarkos Clarke, éditions du sous-sol, 2024, 288 pages.
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