Celui qui revient, Han Kang
- Fleur B.
- il y a 12 heures
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Dans Celui qui revient, Han Kang se penche sur une période particulièrement sombre de l’histoire de la Corée du Sud : le soulèvement étudiant de Kwangju contre la loi martiale le 18 mai 1980 et sa répression sanglante. A l’aide d’un dispositif narratif puissant, l’autrice lauréate du Nobel répond à la prière d’un de ses personnages : « Faites en sorte que plus personne ne puisse humilier mon frère ». Elle lui érige un tombeau, ainsi qu’à toutes les autres victimes.
Chaque chapitre fait entendre une voix de façon singulière : témoignages de survivants, monologue d’une mère inconsolable, confession de l’autrice. La ronde des pronoms, loin de l’exercice de style, est d’une rare justesse ; chaque histoire nous est ainsi confiée avec la distance narrative idoine. Dans le premier chapitre, « Un oisillon », la narration est à la deuxième personne du singulier, une adresse à Tongho, jeune collégien qui voit sa vie bouleversée par un coup d’Etat. Il s’affaire au milieu des cadavres amenés par dizaines dans le gymnase qui fait face à la Préfecture, lieu du massacre. Il a pour mission d’orienter les familles qui recherchent un disparu. Tongho lui-même cherche son ami dont la sœur a aussi disparu. Mais le bruit court que l’armée va revenir, achever les blesser, poursuivre le bain de sang. Et Tongho fait le choix de rester.
Les évènements racontés sont d’abord un peu nébuleux, surtout pour un lecteur peu au fait de l’histoire coréenne. Ils ne s’éclairent complètement que dans « l’Epilogue », porté par la voix de l’autrice. Au fil de la lecture, les chapitres s’agencent les uns aux autres autour de la figure du jeune Tongho ; le destin des personnages se révèle, et avec lui toute l’horreur de la répression. Coups, tortures, viols, meurtres, les voix des morts et des vivants se succèdent et témoignent. Les crimes commis ne font jamais récit ; par bribes, ils font effraction dans la narration, incompréhensibles et insoutenables.
L’écriture délicate et ciselée de Han Kang rend aux victimes la dignité et l’humanité qui leur ont été déniées par la cruauté des soldats. Car il s’agit de panser des plaies restées ouvertes. Le récit progresse de 1980 à nos jours afin de révéler la permanence du traumatisme, des séquelles semblables à celles causées par la bombe atomique, comme en témoigne un survivant.
Celui qui revient se lit lentement, entre sidération et admiration pour cette « prose poétique intense [qui] affronte les traumatismes historiques et expose la fragilité de la vie humaine ».[1]
Celui qui revient, Han Kang, traduit du coréen par Jeong Eun-Jin et Jacques Batilliot, Le Livre de poche, 2024, 264 pages.
[1] Anders Olsson, président du comité Nobel, dans son discours de remise du Prix Nobel à Han Kang
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