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Photo du rédacteurFleur B.

Mon sous-marin jaune, Jón Kalman Stefansson

Les premières pages du nouveau roman de Jón Kalman Stefansson sont un vrai régal. Quel plaisir de retrouver sa plume à nulle autre pareille, entre poésie, fantaisie et drôlerie. On s’empresse de suivre le conseil prodigué dès le titre du premier chapitre : « attachez vos ceintures ».


Dans les premières pages, le narrateur, double de l’auteur, se trouve dans un parc londonien et épie à quelques mètres de lui Paul McCartney. Il est là pour lui parler mais a tant à lui dire qu’il lui faut d’abord prendre le temps d’organiser ses idées. Commence alors une narration à sauts et à gambades qui épouse les pensées du narrateur et revient sans cesse à ce point de départ. Un dispositif enthousiasmant qui devient lassant, d’autant plus qu’il court sur tout de même près de 400 pages.

Mon sous-marin jaune est certainement le plus autobiographique des romans de Stefansson. La première réminiscence s’attache, non sans humour, à un drame fondateur, celui de la dissolution des Beatles : « le groupe s’est séparé, ils sont à couteaux tirés, le monde est plongé dans une telle tristesse que la Terre convulse et que les ondes puissantes de ses sursauts se propagent dans l’univers, où elles percutent la mission Apollo 13 en orbite autour de la lune ». Celui-ci en cache un autre, celui de la mort de sa mère alors qu’il n’a que sept ans. Son père la lui annonce, en voiture, avec un laconisme confondant - « Je crains que ta mère soit morte » - avant de se murer dans le silence. La première partie de Mon sous-marin jaune, très émouvante, est le récit de ce deuil impossible pour le petit garçon qu’il est alors. Celui-ci se réfugie dans la lecture, notamment dans celle de l’Ancien Testament, cherchant des réponses à la disparition de sa mère qui le laisse seul et démuni : « Celui qui se laisse consoler cesse de pleurer ses morts, il les abandonne, réduits à leur mutisme, au fond des ténèbres. Ce sont la tristesse et la douleur de l’absence qui permettent au défunt de rester à nos côtés – acceptez la consolation, ils sombreront dans la nuit ». Nul pathos néanmoins, car l’humour n’est jamais loin. Dans des pages drolatiques, le petit garçon se fait exégète de la Bible avec toute la simplicité et la naïveté de l’enfance. Ce premier refuge littéraire laisse place au cours de l’été suivant au havre d’un petit cimetière isolé tout au nord de l’Islande, peuplé de fantômes-compagnons. Le dernier sous-marin jaune dans lequel se réfugie le narrateur est la bibliothèque municipale de Keflavìk où, peu à peu, il se réconcilie avec la réalité et pose les premières pierres sur lesquelles bâtir sa vie.


Comme dans les autres romans de l’auteur islandais, les titres des chapitres sont particulièrement réjouissants, à la fois poétiques et programmatiques, et pourraient parfois se suffire à eux-mêmes. L’auteur s’en amuse d’ailleurs lui-même, le chapitre « Nul ne saurait vivre ici-bas en l’absence des défunts » n’est constitué que de la phrase suivante : « La chose est d’une telle évidence que ce chapitre ne saurait être plus long que ça.»


Mon sous-marin jaune n’est pas le plus réussi des romans de Jón Kalman Stefansson, on s’y ennuie un peu, principalement dans les pages répétitives consacrées au parc londonien. Néanmoins, ses lecteurs assidus y retrouveront sa prose poétique, sa fantaisie débridée et son humour malicieux.


Mon sous-marin jaune, Jón Kalman Stefansson, traduit de l’islandais par Éric Boury, Christian Bourgois éditeur, 2024, 392 pages.

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